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lowikdelic-les Elukubrics
12 janvier 2012

Renaud Matignon "La liberté de blâmer..." Ed Bartillat 1998

 

Aspiré par l'universel cabotin, Christian Bobin dans son livre L'Inespérée cultivait le genre penseur et nous offrait cette sentence éternelle.

"C'est toujours l'amour en nous qui est blessé,

c'est toujours de l'amour dont nous souffrons

même quand nous ne croyons souffrir de rien."

 

Ce commentaire avisé ne réclamait pas moins que la quatrième de couverture du dit bouquin inespéré.

Tout était alors pour le mieux, mais l'ouvrage fut envoyé à Renaud Matignon, qui officiait à l'époque (1994) -et ce depuis perpète- comme critique littéraire au Figaro.

9782841001781FS

Il en rédigea un article intitulé "Les mésaventures du charabia"

J'en recopie une petite sélection pour mon douteux plaisir.

 (...)

"Dans ce ton léger, à peine plaintif, à peine élégiaque se devine aussitôt une arrière-pensée d'aphorisme, une sorte d'aspiration à l'universel en même temps qu'au charme des mots employés pour le seul plaisir qu'ils dispensent. Toute phrase, si peu que ce soit, est déjà un manifeste: ici s'annonce, délibérée ou implicite, une prétention au classicisme, et le désir d'affirmer les droits de la littérature, voire de la poésie, loin des jargons et des messages qui continuent de barbouiller le papier imprimé, loin aussi du débraillé qui essaie vaille que vaille de s'ériger en ersatz du style. Qu'on accumule, en trois ligne, l'emphase et les fautes de français, c'est un peu embêtant, quand ces trois lignes sont censées être des émanations de la qualité littéraire retrouvée"

(...)

"Ce n'est ni vrai ni faux: c'est gratuit. On peut dire oui. On peut dire non. Mieux, on peut ne rien dire du tout sur cette grave question. Sous peine de laisser apparaître, sous la réaction qui se fait jour contre le relâchement de la langue, une confusion plus pernicieuse et plus grave, qui est le relâchement du langage: sous les apparences du bien écrit, voilà bien des minauderies et des mots du dimanche. Il sont au classicisme ce qu'est le faubourg Saint-Antoine au Musée Carnavelet. On a vu ainsi, à la fin du siècle dernier, contre les outrances d'un naturalisme caricatural, des plumes délicates pleurer les feuilles mortes et les enfants mélancoliques.

Le bien écrit, et le mal écrit, sont, au vrai, également étrangers à la littérature: ils ont en commun de faire semblant d'écrire. Un homme qui rédige la phrase qui trône ainsi sur la couverture de son livre croit revenir des contrées vierges où se déchiffrent nos secrets. Rien du tout: il arrive de banlieue, où le terrain vague se prend pour une oasis, le poétique pour la poésie, le joli pour l'invention. C'est un explorateur qui raconte son voyage; il croyait regarder par la fenêtre: c'était son miroir."

 

"Les fautes qui suivent n'arragent rien. Elles privent l'auteur de l'alibi, fâcheux mais défendable, du purisme. Il y aurait une thèse à faire sur la grande scène de ménage que se font, de plus en plus criante, le purisme et la pureté, comme sur le progrès conjugué de l'inculture et du pédantisme: un français qui s'abâtardit n'a de cesse de faire étalage de ces adjectifs rares et pluriels savants, scénarii, impresarii, et autres tournures "obsolètes" et "atypiques" qui voisinent avec le barbarisme de routine et le solécisme à tout faire. Par exemple: "C'est toujours de l'amour dont nous souffrons", comme dit artistiquement M. Bobin, qui ne semble pas gêné par ces deux génitifs qui se regardent comme deux ivrognes en bagarre. M. Bobin s'offre même le luxe d'une autre faute, qui n'est pas contre la syntaxe, mais contre le sens: il est évident que, selon sa phrase, nous ne refusons pas de croire à notre souffrance; nous l'ignorons. Ce qui devrait s'écrire, non pas "quand nous ne croyons souffrir de rien", mais "quand nous croyons ne souffrir de rien".

  1. Christian Bobin était parti en navigateur de la poésie, il se retrouve en explorateur du charabia.

     

(le figaro littéraire. 11 mars 1994.)

Renaud Matignon "La liberté de blâmer..." Ed Bartillat 1998

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